Joliette à Paris

Dimanche 9 février 2020, la légende renaît de ses cendres.

 

Joliette, vin connu des grands amateurs, impossible à dénicher et dont les rares flacons s'arrachent aux enchères, sera disponible à la dégustation sur quatre millésimes : 2010, 2012, 2013 et 2016. 

 

Une dégustation réservée aux professionnels, offerte par les vignerons du collectif A BISTO DE NAS, dans le cadre du salon Haut les Vins Paris.

 

 

RENCONTRE AVEC JEAN-MARC GRUSSAUTE

 

Il est 9h en ce samedi de décembre. Paris est congestionné par les grèves, les fêtes approchent dans une ambiance particulière, rythmée de sirènes, de bouchons et de fatigue latente. J'ai rendez-vous avec Jean-Marc, grand vigneron du Jurançon dont j'affectionne le franc-parler autant que ses vins, qui font partie de ceux qui me procurent une immense émotion. Jean-Marc veut me raconter l'histoire du Clos Joliette, à laquelle il s'est retrouvé intimement lié, presque malgré lui.

 

1929... Quand le petit manseng trouve sa terre promise

 

Il était une fois le père et la mère Migné.

Nous sommes en 1929, et ce couple d'agriculteurs-éleveurs du Sud-Ouest décide de planter quelques pieds de vigne. Ils délimitent une parcelle d'1,85 hectares, occupant les pentes d’un petit amphithéâtre naturel, niché au pied des Pyrénées.

Nous sommes à Jurançon, à 300 mètres d’altitude. Intuition ? Coup de chance ? Le couple Migné a choisi un terroir exceptionnel pour révéler le cépage phare de la région, le petit manseng. Des sols de poudingues à galets, roulés jadis par les glaciers puis les torrents, filtrent les eaux de pluie, drainent les pieds et restituent à la plante les chaleurs diurnes. Ici, silices, calcaires et argiles se mêlent, tandis qu’une rare veine ferreuse traverse le sous-sol. Pour ne rien gâcher, l'exposition est celle des plus grands crus bourguignons : une orientation de la pente Sud et Sud-Est, qui garantit ensoleillement et températures idéales. Enfin, le Balaguère, vent chaud venu d’Afrique, s’engouffre régulièrement dans la vallée, stimulant la maturité des baies et évitant les maladies. 

 

« Je ne sais pas s’ils avaient conscience de la magie de l’endroit »

me souffle Jean-Marc.

 

Millésime après millésime, le vin blanc issu de ce petit bout de terre exprime une singularité qui ne passe pas inaperçu. Car les Migné parviennent à donner au vin sa plus pure expression, en faisant alors le choix de ce que l'on appellerait des vinifications natures aujourd'hui : dans la discrétion d’une cave humide au sol de terre battue, les baies - après avoir été pressées délicatement dans un fouloir cannelé en buis - sont entonnées dans de vieux fûts de chêne. La fermentation s’opère sans intervention, aucun outil technologique ou intrant n'a jamais été utilisé... seul le temps fait son oeuvre.

 

Les amateurs ne s'y trompent pas, et ce vin que les Migné ont baptisé Clos Joliette gagne ses lettres de noblesse au coeur du Jurançon et au-delà. La faiblesse des rendements (la sélection rigoureuse, grain par grain, au moment des vendanges, font que ces derniers n’ont jamais dépassé 10 hectolitres l’hectare !) conjuguée à ce goût indescriptible achèvent de construire le mythe. Nous sommes dans les années 1950.

 

Au tournant des années 1970, le père Migné décède brutalement, en plein âge d'or de Joliette. La mère Migné tient les rennes seule, pendant quelques années.

En 1989, le Clos se retrouve, pour la première fois de son histoire, orphelin : les Migné n'avaient qu'un fils, et celui-ci ne veut pas en entendre parler. Les vins sont vendus aux enchères, le vignoble et sa cave mis en vente. 

 

Moi ? J'étais déjà vigneron, oui, mais tout ça était hyper secret, rien ne filtrait, et puis j'avais d'autres chats à fouetter à cette époque ! J'étais en pleine saison de rugby... "

 

1989-2015... Joliette au bois Dormant ?

 

Depardieu et d'autres personnalités sont sur le coup, mais le collectioneur qui l'emporte, c'est Michel Renaud. Grand caviste parisien, il est tombé en amour avec ce vin si confidentiel. C'est alord que Joliette tombe dans l'oubli... Michel Renaud stoppe les ventes, et ferme les portes, à la vigne comme de la cave. Les amateurs s'interrogent, guettent la mise sur le marché d'un nouveau millésime... Rien. 

Pendant près de 20 ans, aucune bouteille ne sera mise en vente.

 

C'est en 2010 que Michel Renaud décide soudainement de réveiller la légende : il propose à la vente le millésime 2001, et organise les premières dégustations depuis des décennies. Mais, alors que le mystère de ces années sans Joliette est encore épais, Michel Renaud décède à son tour, subitement. On est en 2015. Jean-Marc est contacté par un ami de la famille, qui l'incite à se positionner pour reprendre les vignes. Mais entre le conflit familial sur les droits de succesion et le poids de la légende, Jean-Marc ne voit pas quelle légitimité il pourrait avoir. Pendant près d'un mois, il ne se manifeste pas.

Jusqu'à ce qu'il réalise que ce n'est pas lui, en tant que vigneron certes voisin mais déjà attelé à son domaine et à des projets personnels, qui doit reprendre, mais un collectif : « Je me suis délivré de mes doutes en réalisant que c’était ça le projet dont on rêvait avec les gars d’A Bisto. » Cette bande de vignerons du Sud-Ouest, à l'origine des amis qui se retrouvaient régulièrement pour échanger sur leurs difficultés et partager leurs expériences, qui avaient depuis mis en place une structure collégiale de commerce sous le nom d'A BISTO DE NAS, aimaient à refaire le monde et, lors de fins de soirées, rêvaient à un projet de vignoble collectif qu'ils travailleraient tous ensemble.

 

« Avec Joliette, il n’y avait rien d’indispensable pour notre groupe.

Et c’était ça qui à mon sens permettait justement de respecter la légende. Pas d’impératif commercial, un voeu collectif, presque utopique en fait. Celui d'apporter chacun notre savoir-faire à Joliette, la somme de nos expériences respectives conjuguée à notre sensibilité de paysan. Et permettre à ce terroir mythique de continuer à vivre. »

 

Tandis que la bataille de succession au sein de la famille fait rage, la veuve Renaud accepte de confier les vendanges 2016 à cette poignée de vignerons au caractère bien trempé. Celles-ci auront lieu en deux temps, d’abord début novembre puis aux premiers frimats de l'hiver, tout début décembre. Ils n'ont pas accès à la cave historique, ils décident donc de vinifier chez Jean-Marc :

« C’était un rêve ! J’avais Joliette à côté de mes vins, avec le même matériel, les mêmes conditions… J’allais pouvoir mesurer le poids de la légende. »

Et Jean-Marc de marquer un silence... avant d'ajouter :

 

2016 c'est un super millésime chez moi, j'étais très content de mes jus… Mais je peux le dire... Joliette était meilleur. Spectaculairement meilleur. "

 

2017 arrive, la situation juridique va de mal en pis, et l'ouvrier gersois en charge des vignes depuis 25 ans prend sa retraite. Mais pour ces 9 amis, ces 9 vignerons amoureux de terroirs et pris de passion collective pour  ce vin et ses vignes bientôt centenaires, il y a une priorité, et elle n'est ni juridique, ni financière. La vigne ne peut pas se passer de soin, il faut éviter à tout prix qu'elle soit à l'abandon pendant ces lourdes et bien complexes négociations.

Chacun leur tour et depuis leurs propres vignobles respectifs, parfois à plusieurs heures de route, ils s'attellent alors à entretenir les vignes de Joliette. Pendant une année, bénévolement et dans l'incertitude totale du dénouement, ils vont travailler les sols, tailler la vigne, lier les bois...

À l'automne, in extremis, ils obtiennent un contrat de vendanges : dans l'excitation et l'euphorie de vivre quelque chose d'historique, ils récoltent pour la seconde fois les raisins de Joliette. Mais le vent a tourné et la veuve Renaud, jusqu'à présent de leur côté, est courtisée par d’autres. Avant de se voir interdire brutalement l'accès aux vignes et déboutés dans leur offre de reprise, les vignerons d'A BISTO DE NAS ont l'opportunité d'acquérir de vieux millésimes du précieux nectar, à condition qu'ils en assurent eux-même la mise en bouteille. Leur choix s'est porté sur les années 2010, 2012 et 2013 : après une dégustation d'anthologie, ce sont ces trois millésimes qui leur ont paru les plus dignes d’incarner le mythe. 

 

Ce sont ces derniers, accompagnés du fameux 2016* qu'ils ont intégralement vendangé et vinifié, que ces vignerons ont décidé de proposer à la dégustation en ce début d'année 2020. Après près de 7 ans d'élevage et 3 ans en bouteille, il est temps de réveiller la belle endormie.

 

Je suis un peu sonnée quand Jean-Marc achève son histoire. Des images défilent dans ma tête, une foule de questions. Le sentiment d'avoir assité depuis ce bistrot parisien à un film quasi hollywoodien, où rebondissements et passions se partagent la scène. Face à moi, un vigneron, un paysan aux mains épaisses et abîmées, qui me regarde.

"Je ne sais pas ce que tu peux faire avec tout ce fatras, désolé... je suis parti dans tous les sens... c'est l'émotion. Mais il faut que les gens goûtent. Il faut que Joliette puisse être dégusté et découvert par un plus grand nombre. Tu penses que tu vas pouvoir raconter cette histoire ?"

Je ne sais pas si je vais pouvoir. Ce dont je suis persuadée, en revanche, c'est que je suis plus qu'honorée de vous accueillir dimanche 9 février prochain. 

 

Au plaisir de vous lire et de partager avec vous ce bout d'histoire, celle d'un vin devenu légende.

  

 * Le millésime 2017 est encore en élevage, et ne fera donc pas partie de cette première grande dégustation.

 

INFORMATIONS PRATIQUES

 

La dégustation se tiendra dans le cadre de Haut les Vins Paris,

qui a gracieusement accepté d'accueillir cette rencontre tant attendue.


Dimanche 9 février 2020
Maison des Métallos, 11h - 19h

Entrée réservée aux professionnels sur invitation + carte professionnelle

 

Adresse : 94 rue Jean-Pierre Thimbaud, 75011 Paris

Métro : lignes 2, 3, 11 (Parmentier, Goncourt, Belleville, Couronnes)

 

A BISTO DE NAS est une association qui regroupe aujourd'hui douze vignerons du Sud-Ouest, dont un artisan cidrier et un distillateur. Ils partagent toutes et tous la même philosophie du raisin et du vin. Le respect de la nature et du fruit est leur priorité.
Les vignerons et leurs domaines : Jean-Marc Grussaute (domaine Camin Larredya, Jurançon), Marc Penavayre (domaine Plaisance, Fronton), Mathieu Cosse (domaine le Sid, Cahors), domaine Mouthes Le Bihan (Côtes de Duras), Dominique Andiran (Côtes de Gascogne), Christian Roche (Domaine L'Ancienne Cure, Montbazillac, Bergerac, Pécharmant), Christine Dupuy (Domaine Labranche Laffont, Madiran), Domaine Plageoles (Gaillac), Pascale & Bixintxo Aphaule (Domaine Bordatto, Cidres du Pays Basque), Elorri Reca & Brice Robelet (Domaine Bordaxuria, Irouléguy), Domaine Matha (Marcillac), Straw Bale Distillery.

N.B. : Les vignerons en gras ci-dessus seront présents le 9 février, à l'occasion de cette dégustation exceptionnelle.
 
© Aurélie Soubiran pour Abisto de Nas